Souveraineté numérique : rêve ou réalité pour l’Afrique ?

À l’heure où le numérique est devenu un enjeu stratégique mondial, la question de la souveraineté numérique s’impose de plus en plus dans les débats. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Et surtout, l’Afrique peut-elle réellement espérer l’atteindre dans le contexte actuel ? Spoiler : ce n’est pas si simple. Voyons ensemble où en est le continent, les obstacles qu’il doit surmonter, et surtout, ce qui peut être fait pour adapter cette idée à la réalité africaine.

Qu’est-ce que la souveraineté numérique ?

La souveraineté numérique, dans sa définition la plus simple, est la capacité d’un État à contrôler et à protéger ses infrastructures numériques, ses données et ses technologies essentielles sans dépendre de puissances étrangères. C’est l’assurance que vos données personnelles, vos communications et vos infrastructures critiques restent entre de bonnes mains… en l’occurrence, les vôtres.

Des exemples concrets ?

  • L’Union européenne, avec des initiatives comme le RGPD ou Gaia-X, travaille à bâtir une infrastructure cloud indépendante.
  • La Chine, elle, a créé un internet quasi-autonome, avec ses propres géants technologiques (Huawei, Alibaba) et ses propres règles du jeu.
  • Les États-Unis, grâce au Cloud Act, s’assurent l’accès aux données de leurs entreprises, qu’elles soient stockées à domicile ou à l’étranger.

Mais qu’en est-il de l’Afrique ?

Pourquoi l’Afrique n’est-elle pas prête pour une véritable souveraineté numérique ?

La réponse courte ? Les infrastructures, les compétences, et les moyens financiers font défaut. Voici les raisons principales :

1. Une dépendance technologique écrasante

Les infrastructures critiques de l’Afrique sont largement dominées par des acteurs étrangers. Les grands fournisseurs de cloud (AWS, Google Cloud, Microsoft Azure) détiennent l’essentiel des données africaines. Quant aux logiciels et matériels essentiels, la majorité sont conçus hors du continent.

2. Un cadre législatif insuffisant

Alors que l’Europe impose des règles strictes avec le RGPD, peu de pays africains disposent de lois robustes pour encadrer l’utilisation et la protection des données. Même là où des régulations existent, leur application reste un défi.

3. Un manque cruel de talents locaux

Le continent souffre d’une pénurie de compétences dans des domaines stratégiques comme la cybersécurité, l’IA, ou encore la gestion des infrastructures cloud. Trop souvent, il faut faire appel à des experts étrangers.

4. Des initiatives fragmentées

Les efforts des pays africains manquent souvent de coordination. Alors que l’Union européenne ou même l’ASEAN (Asie du Sud-Est) s’unissent autour de projets numériques stratégiques, l’Afrique peine à créer une dynamique commune. Des initiatives comme Smart Africa ont émergé, mais elles manquent souvent de moyens.

5. Une dépendance financière

Enfin, de nombreux projets numériques africains dépendent de financements extérieurs (banques internationales, ONG, États étrangers). Cela complique l’indépendance dans la gouvernance des projets.

Une adaptation pragmatique : aller vers l’autonomie numérique

Plutôt que de viser une souveraineté numérique totale — un objectif noble mais actuellement inaccessible — l’Afrique peut opter pour une approche plus pragmatique. Cela passe par une autonomie numérique progressive, en se concentrant sur des initiatives réalisables et stratégiques.

1. Miser sur des partenariats stratégiques

  • Collaborer avec des pays ou organisations neutres pour bâtir des solutions adaptées. Par exemple, s’inspirer des initiatives d’Estonie dans la digitalisation ou de l’Inde dans les logiciels open source.
  • Favoriser l’adoption de solutions open source comme Linux, NextCloud ou OpenStack pour limiter la dépendance aux technologies propriétaires.

2. Investir massivement dans les talents

  • Multiplier les programmes de formation ciblés dans les domaines critiques (cloud, cybersécurité, IA).
  • Créer des incubateurs pour encourager les start-ups technologiques locales à développer des solutions adaptées au contexte africain.

3. Favoriser la collaboration régionale

  • Mutualiser les efforts entre pays pour bâtir des infrastructures communes, comme un cloud panafricain.
  • Mettre en place des organisations régionales pour partager des bonnes pratiques, des compétences, et des ressources.

4. Protéger les données sensibles

  • Localiser les données critiques (état civil, finances publiques, etc.) sur des infrastructures contrôlées par des acteurs locaux.
  • Adopter des standards internationaux en cybersécurité tout en les adaptant au contexte africain.

5. Changer de vocabulaire : de la souveraineté à l’autonomie numérique

La souveraineté numérique, dans sa conception absolue, est difficilement atteignable pour l’instant. En revanche, l’autonomie numérique reflète mieux une ambition réaliste : réduire progressivement les dépendances stratégiques tout en bâtissant des bases solides pour l’avenir.

Rêver grand, avancer à petits pas

L’Afrique ne peut pas (encore) réaliser une souveraineté numérique totale. Mais cela ne signifie pas que le continent doit renoncer. En adoptant une approche pragmatique axée sur l’autonomie numérique, l’Afrique peut progressivement réduire sa dépendance et renforcer sa capacité à protéger ses intérêts numériques.

La clé ? Choisir avec soin ses partenaires, investir dans ses talents, et se concentrer sur des initiatives réalisables à court terme tout en préparant l’avenir. Avec cette stratégie, l’Afrique pourrait devenir un acteur significatif de l’économie numérique mondiale, tout en renforçant la confiance de ses citoyens dans le système numérique.

Alors, rêve ou réalité ? Peut-être un peu des deux. Mais avec les bonnes actions, l’avenir pourrait réserver de belles surprises.

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